L'effet "vintage" : velléité esthétique ou hyper nostalgie ?
Stenopé polaroïd de Stéphane Chapon
Sur notre blog familial, notre mère a posté une photo qu’elle a légendé ainsi : « La photo n'est pas terrible car prise avec un téléphone... mais votre père est particulièrement bien, le garder ainsi est très précieux... »
Légèrement en retrait derrière lui, elle aussi pose, elle aussi est particulièrement bien.
Elle s’est plue sinon elle ne l’aurait pas mise en ligne cette photo.
Tous deux sourient, elle d’un sourire de pose, les yeux tournés vers le ciel (un vieux truc que j’ai repris pour mon compte, ça tend autant que possible la peau du cou qui s’affaisse), lui sans calcul, les yeux dans l’objectif du photographe.
Ils ont l’air heureux, quasiment épargnés par l’âge. 73 ans.
photo Cryboy Lomography à l'Holga
Pourtant, sur un point, je ne suis pas d’accord avec notre mère, cette photo m’a instantanément plue au-delà de son sujet, disons d’un point de vue plastique : Elle tranche avec celles que nous postons tous habituellement, des photos prises à la volée au compact numérique, toujours très nettes (c’est pour ça qu’on la publie), très lisses, un peu plates jugeront d’aucuns.
J’ai aimé d’abord, son aspect « vintage », de « vieille photographie » à peine colorée avec ses couleurs désaturées, ensuite son format inhabituel, carré avec des coins arrondis et une bordure de papier couleur kraft, mais aussi l’assombrissement de la périphérie de l’image que les spécialistes nomment vignettage.
Moi qui n’ai toujours pas de téléphone portable, j’ai imaginé que la photo avait été prise par F., 15 ans, avec son Iphone et qu’il avait utilisé ensuite une « application » qui après le choix d’un ou plusieurs effets avait permis la métamorphose de son cliché.
En cherchant un peu sur Internet, je dirais que cette photo « pas terrible » du point de vue de ma mère a un peu des allures de sténopé sur Polaroïd.
A la réflexion, l’effet obtenu en un ou deux « touch » par un adolescent pour des motifs probablement ludo-esthétiques accuse le caractère profondément nostalgique de l’acte de photographier, une nostalgie immédiate de l’instant.
Il y a une part de masochisme que de vouloir faire paraître très ancien cet instant qu’on voudrait voir toujours durer, que de propulser dans un passé lointain ceux qu’on ne voudrait jamais voir vieillir. D’ailleurs, notre mère n’a-t-elle pas eu l’intuition confuse de cela lorsqu’elle a considéré cette photo comme « pas terrible » ?
Irinia Werning Back to the future
Vincent Rémy de Télérama m’apprend que l’application s’appelle Hipstamatic, que les photos prématurément vieillies ont envahi le Net où s’échangent chaque jour 5 millions d’entre elles, via Instagram, société qui vient d’être vendue à Facebook.
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