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L'oeil en chambre
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  • Le seul ouvrage de technique photo que je possède, porte une dédicace de ma mère : "Noël 1984, pour ouvrir une carrière de photographe". Avec le temps, submergé par les tirages, l'amateur a accueilli avec joie le numérique, Internet et Photoshop.
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12 septembre 2010

La fabrique des images d’Andreas Gursky

andreas_gursky_99cent

 

 

Le niveau atteint par les prix de vente des formats géants d’Andreas Gursky laisse perplexe (ou scandalisé, c’est selon). Dernier record atteint chez Sotheby’s de Londres, en février 2007, pour les tirages de deux photos de sa série « 99 cent » : 3.3 millions de $ !

Un documentaire éclairant sur « la fabrique des images » de ce photographe a été diffusé sur Arte.

Son auteur, Jan Schmidt-Garre, alterne des séquences concernant la réalisation d’un projet en vue d’une rétrospective, les commentaires d’œuvres d’Hilla Becher qui fut son professeur dans les années 80 aux Beaux Arts de Düsseldorf (Staatliche Kunstakademie Düsseldorf) en la présence du photographe, ceux de l’historien d’art Werner Spies, ainsi que ceux d’un collectionneur ukrainien Pinchuk.

 

 

Gursky_SiemensKarlsruhe

 

 

Les photographies supports de présentation du travail de Gursky ont été réalisées sur la période 1991-2007, et celle en train de se faire durant le reportage a été exposée en 2008 (Hamm, Bergwerk Ost,). Seule la photographie d’un atelier de l’usine Siemens de Karlsruhe prise en 1991 (Siemens Karlsruhe) est une photographie de documentation au sens strict, sans traitement numérique de l’image prise, puisque c’est à partir de l’année suivante en 1992 que Gursky passera au travail digital des images et que sa cote commencera son ascension dans le monde l’art contemporain.

 

Alors qu’on présente souvent Gursky comme « un entomologiste des comportements grégaires »[1], le documentaire s’ouvre sur une photographie désertée par les hommes (Rhein II – 1999), qu’Illa Becher trouve « suspecte ». Le photographe lui dit avoir en fait peu retouchée la photo de ce bord de Rhin qu’il connaît bien pour y faire son footing : il a tout simplement enlevé la centrale à charbon.

 


 [1] La photographie contemporaine – Tableaux choisis de Christian Gattinoni et Yannick Vigouroux –Editions Scala 2002

 

 

 

 

AndreasGurskymid_Rhein_II

 

 

 

andreasgurskypradaII1997

 

 

 

On va plus loin dans le vide et l’inerte dans la deuxième photo commentée par Werner Spies : Prada II (1997) : « Une photo absurde, sans objet, sans produits, sans hommes [...] On a le sentiment de se noyer dans ce qu’on voit, notamment du fait du grand format [...] On peut penser aux paysages de Caspar David Friedrich». «Tous les éléments de la photographie de Gursky sont là : la couleur, la lumière, l’architecture, en un mot la structure, s’orientant vers l’art abstrait géométrique ; on peut penser à l’art minimal, à Flavin. On y retrouve une certaine économie, une rigueur récurrente qu’il a eu la chance de développer avec les Becher. »

 

On distingue enfin des hommes dans la 3e photo purement documentaire d’un atelier de l’usine Siemens de (Siemens Karlsruhe 1991). Les ouvriers ont tendance à disparaître sous le foisonnement des matériels de travail de l’atelier.

 

 

 

 

andreas_gursky_montparnasse1993

 

 

 

 

 

Il en va de même pour la photo « 99 cents » (1999), qui selon Illa Becher constitue « le supermarché de tous les supermarchés », cliché obtenu « le plus simplement, le plus directement, sans artifices ».

Plus intéressante, est la photo-tableau Paris-Montparnasse (1993) pour sa « représentation du très petit et du très grand », avec ces « incursions dans la sphère intime » au travers des fenêtres de la barre d’immeuble, rendues possible par la qualité de la définition des photos prises et le grand format.

Gursky explique qu’il voulait une photo de face sans perspective (sinon, il prenait une photo d’architecture, ce qu’il ne voulait pas) et que pour éviter la distorsion sur les côtés de l’immeuble, il l’a photographié de deux endroits, pour ensuite assembler les deux clichés ( ?).

 

 

 

 

andreas_gursky_puyongYang

 

 

 

 

Enfin, il nous est donné à voir deux photos de foules, qui avec ses photos d’architecture l’ont rendu célèbre. Sans surprise, Andreas Gursky a eu envie de photographier un de ces grandes chorégraphies colorées donnés par des foules à leurs dirigeants et dont les régimes totalitaires raffolent. En Corée du Nord, en 2007, il a obtenu l’autorisation de photographier la fête d’anniversaire de son dirigeant Kim Jong-il, probablement depuis sa loge : « PyongYang II ».

Comme souvent pour ce type de photo, le point de vue est forcément « d’en haut », que ce soit de la loge du dirigeant ou d’un hélicoptère. Werner Spies parle d’une « perspective à la Google earth » et fait le parallèle avec la perspective du cavalier très utilisée en peinture.

L’autre exemple est la photo de la bourse de Koweit (Kuwait stock exchange) réalisée la même année. Pour ces deux photos, au premier coup d’œil, un tableau intrigant par son abstraction, qui révèle, dès qu’on s’approche pour en examiner les détails, les hommes qui la composent.

 

 

 

 

andreasgurskiKoweitstockexchange

 

 

 

Le point de départ du projet Hamm-Bergwerk-Ost, fut une photo de vestiaires de mines sur laquelle Gursky est tombé, où les mineurs accrochent leurs vêtements en entrant et en sortant du puits. Le photographe justifie son intérêt par le fait que le sujet « touche aux hommes » et qu’il est « étroitement lié à la territorialité ». Qu’il s’agisse des dernières mines d'outre-Rhin encore exploitées a probablement joué dans le choix de ce sujet, pour son intérêt documentaire. Mais Andreas Gursky ne pouvait se contenter de reproduire...

 

Là où le documentariste aurait pris ce qui pour moi constitue la meilleure image de ce lieu : quelques rares hommes blancs nus qui viennent récupérer leur tenue de travail noircie par le charbon dans cet immense vestiaire à la propreté clinique, Gursky se focalise sur les grappes de vêtements.

 

 

andreasgurskyHamm_berg_werke_

 

 

 

Nombreux repérages sur deux sites avec son assistant, premiers clichés au petit compact numérique, essais au polaroïd noir et blanc (?), choix d’objectifs, de filtres, flashs synchronisés, nettoyage au pinceau d’une cinquantaine de cassettes de pellicules (une par porte-film permettant de faire une seule photo). Les clichés seront également doublés au réflexe numérique sur chambre. Pour les photos prises à la chambre photographique, les négatifs sont scannés après choix sur une table de lecture.

Ensuite vient le travail avec l’infographiste : montage de plusieurs clichés, rajout de vêtements, éclaircir, rajouter du contraste... Premiers tirages d’essai, et décision de rajouter d’autres silhouettes humaines derrière le rideau de chaînes. Nouvelles prises de vues au numérique d’une mise en scène des ouvriers portugais qui travaillent actuellement sur la terrasse de son domicile. Intégration des ouvriers dans la photo, effacement par l'infographiste des logos sur les vêtements, impression de différentes versions en grand format, choix et ultimes corrections sur le bas de la photo.

 

 

 

 

AndreasGurskyCocoonII2008

 

 

 

AndreasGurskyCocoonII2008d_tail

 

 

 

Le nouveau tableau-photo d’Andreas Gursky bientôt vendu en x exemplaire avec plein de zéro est fini. Une photo documentaire unique, très conceptuelle. Pour reprendre une expression de Martin Parr, « une bonne photo vernaculaire » qui « montre ce qui va disparaître »[1], mais qui relève davantage de la peinture que de l’enregistrement objectif du réel.

 

 

 

 

Telerama.fr/Andreas Gursky - La photo globalise le monde

Une discussion de forum sur ce documentaire

 


[1] Lemonde.fr/ Martin-parr-je-deteste-la-nostalgie-dans-les-images

 

 

[... depuis longtemps d’ailleurs les photographes exaspéraient Jed, en particulier les grands photographes, avec leur prétention de révéler dans leurs clichés la vérité de leurs modèles ; ils ne révélaient rien du tout, ils se contentaient de se placer devant vous et de déclencher le moteur de leur appareil pour prendre des centaines de clichés au petit bonheur en poussant des gloussements, et plus tard ils choisissaient les moins mauvais de la série, voilà comment ils procédaient, sans exception, tous ces soi-disant grands photographes, Jed en connaissait quelques-uns personnellement et n’avait pour eux que mépris, il les considérait tous autant qu’ils étaient comme à peu près aussi créatifs qu’un Photomaton.]

 

 

Michel Houellebecq La carte et le territoire

 

 

 

10_6_4Montparnasserue_du_d_part

 

 

 

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